Le président du groupe LR au Sénat reproche à l’exécutif de ne pas avoir « d’autre stratégie que de gérer la pénurie ». Il se dit favorable à un geste supplémentaire pour « ceux qui sont au front » et à l’annulation de la dette fiscale et sociale des entreprises ou associations les plus impactées. Et il prône, demain, une hausse du temps de travail.
Le nouveau budget de crise arrive au Sénat ce mardi. Le voterez-vous ?
Globalement, il paraît à la hauteur de la difficulté. Mais il mérite d’être amélioré. Si la concorde nationale impose à l’opposition un esprit de responsabilité, elle exige aussi de l’exécutif qu’il entende l’opposition. Je serais stupéfait qu’il ne reprenne pas un certain nombre d’améliorations qui vont dans le sens d’une meilleure protection des Français.
Que proposez-vous ?
Pour montrer notre reconnaissance à ceux qui sont au front, les primes ne suffisent pas. Ce que nous proposons, nous, en plus de la prime exceptionnelle promise, c’est la défiscalisation et le déplafonnement des heures supplémentaires au-delà de 5.000 euros, avec exonération des charges sociales. Ensuite, pour un certain nombre d’entreprises ou d’associations qui vont perdre quasiment une année d’activité, comme dans le tourisme ou la culture, il faut envisager dès maintenant la transformation du report de dette fiscale et sociale en une annulation. Sacrifions les impôts d’aujourd’hui au profit de l’impôt de demain parce que si ces entreprises font faillite, elles ne contribueront plus.
Nous souhaitons aussi proposer la création d’un médiateur du crédit, interentreprises, qui est indispensable en temps de « guerre » : que des entreprises reportent le coût de la crise vers leurs fournisseurs n’est pas acceptable. Je l’ai proposé il y a plusieurs semaines déjà et nous avons perdu beaucoup trop de temps. Enfin, il faut aider les associations caritatives qui prennent soin des plus démunis : le plafond du taux de défiscalisation de 75 % pour les dons pourrait être porté de 546 à 2.000 euros pour les particuliers et de 10.000 à 20.000 euros pour les entreprises. Cette crise nous invite à dépasser l’individualisme contemporain habituel.
Comment gérer le déconfinement à partir du 11 mai ?
Sanitaire et économie vont de pair car l’état de l’économie influe aussi sur l’état sanitaire de nos sociétés. Ce sont les pays qui ont le moins bien contrôlé l’épidémie – la France en fait malheureusement partie – qui vont déconfiner le plus tard. Or le coût économique de la crise est d’autant plus important que le confinement est généralisé et qu’il dure. En France, il sera astronomique parce que nous n’avons pas anticipé le début de cette crise, alors que nous avions les moyens de le faire.
Ce qui me trouble, aujourd’hui, est que nous ne faisons pas davantage preuve d’anticipation pour le déconfinement. C’est tout de suite qu’il faut tester massivement, pour détecter, tracer les contacts et isoler. Au moins dans les zones où le virus est très actif, si nous n’avons pas les moyens de le faire partout. C’est tout de suite qu’il faut généraliser le port du masque. Quand Olivier Véran affirme que « le masque ne remplace pas le geste barrière », c’est une sottise. Le masque lui-même est un geste barrière. En réalité, la stratégie de la France, c’est la stratégie des pays qui n’ont pas d’autre stratégie que de gérer la pénurie.
Vous êtes sévère. Pour vous, l’exécutif serait à la traîne depuis le début…
Depuis le début. Je n’ai jamais dit qu’il ne fallait pas confiner. L’objectif était de désengorger les services de réanimation et, de ce point de vue, cela fonctionne. Cette stratégie permet de freiner l’épidémie mais en aucun cas de casser la chaîne de contamination. Aujourd’hui, on renvoie dans leurs familles des personnes qui sont encore contagieuses.
Par ailleurs, les inconvénients du confinement deviennent supérieurs aux bénéfices que l’on peut en attendre. Sur le plan humain, c’est loin d’être neutre : l’isolement tue, parce que des personnes âgées se laissent glisser et aussi parce que d’autres renoncent à consulter pour des maladies qui s’aggravent dangereusement. Sur le plan économique, l’arrêt de l’économie aura un impact énorme et durable. Parce que nous aurons déconfiné tardivement sans avoir anticipé les conditions du déconfinement, l’écart va se creuser avec d’autre pays, dont les entreprises seront prêtes à redémarrer avant les nôtres. Cette épidémie risque d’accentuer notre décrochement.
Pour Xavier Bertrand, « cette crise est un révélateur des inégalités et d’un capitalisme à bout de souffle ». Etes-vous d’accord ?
Elle est révélatrice d’abord de la bureaucratisation d’un Etat trop jacobin, à la fois omniprésent et impotent. Elle traduit aussi un blocage idéologique : l’exécutif a longtemps refusé d’envisager la fermeture des frontières alors que cette évidence s’était imposée partout. Rien non plus n’a été dit lors de la conférence de presse de dimanche sur le rôle, pourtant essentiel, de la médecine de ville. Tout se passe comme s’il n’y avait que l’hôpital.
Et puis, ne nous trompons pas de diagnostic. La France est loin d’appliquer les recettes du capitalisme mondial : c’est le pays où la fiscalité est la plus lourde, la plus progressive, la plus redistributive, et où la part des dépenses publiques est la plus élevée. Cette crise, ce doit être la mort du néolibéralisme, mais pas la mort de la liberté, bien au contraire. Moi je suis pour un capitalisme d’entrepreneurs, le capitalisme rhénan – ou vendéen -, mais ni pour le capitalisme financier anglo-saxon, ni pour le socialisme…
Est-ce aussi une réponse à ceux qui, à LR, veulent un grand aggiornamento sur des bases sociales ?
Au sortir de cette crise, la France va avoir le choix entre le relèvement et l’affaissement. Rien ne serait pire que de nous laisser aller aux mensonges qui ont trompé les Français depuis trente ans. On leur a fait croire qu’en travaillant moins, nous pouvions garder à la fois les standards sociaux auxquels nous sommes à juste titre attachés et notre niveau de vie. Depuis 2000, notre richesse par habitant par rapport aux Allemands a diminué de 13 %. Nous sommes sur le chemin de l’appauvrissement collectif.
Il faudra donc selon vous revenir sur la réduction du temps de travail ?
Oui, à la fois pour améliorer notre richesse nationale et le salaire des Français. Ce débat est encore prématuré parce qu’il ne faut pas se perdre dans des querelles qui détournent du combat contre l’épidémie, mais le moment viendra où, si nous voulons rebondir, nous n’aurons d’autre choix que le sursaut. Je ne connais pas dans l’Histoire de cas où on puisse traverser une épreuve et s’en relever sans un surcroît d’effort.
Faut-il aussi revenir sur les baisses d’impôts prévues ?
Non. Je pense qu’on terminera l’année avec une croissance de moins 10 %, un déficit de 10-12 % du PIB et une dette supérieure à 120 %. Mais on ne rembourse pas la dette en augmentant les impôts. On la rembourse en créant de la richesse. Notre croissance potentielle, nous pouvons la maîtriser par l’offre de travail et un surcroît d’investissement. C’est pourquoi il faudra aussi mettre le paquet, demain, sur l’allègement des contraintes qui pèsent sur l’investissement public et privé. Demain le grand chantier de la simplification , toujours évoqué, jamais réalisé, sera impérieux.
Propos recueillis par Pierre-Alain Furbury