Le chercheur Alexandre Papaemmanuel et le sénateur LR Cédric Perrin appellent, dans une tribune au « Monde », à accorder les financements nécessaires au commandement de la cyberdéfense pour lui permettre de remplir ses missions.
Le 24 février, quelques heures avant le début de l’invasion russe en Ukraine, une cyberattaque a paralysé un fournisseur américain de communications par satellite utilisé par l’armée ukrainienne. D’aucuns ont alors prédit le début d’une vague d’attaques visant à démanteler des secteurs-clés de l’Ukraine. Mais la cyberblitzkrieg n’a pas eu lieu. La ligne de défense ukrainienne, disposant de ressources humaines compétentes, d’outils performants et s’appuyant sur des partenariats solides, avec des pays tiers comme avec le secteur privé, a réussi à stopper les cyberattaques russes.
Ce combat héroïque des Ukrainiens nous oblige à porter un regard sur l’évolution de la conflictualité numérique. En effet, l’association entre la préparation, la force morale et la combinaison du numérique et du cinétique ont pris à rebours les nombreux analystes qui prédisaient une défaite rapide de l’Ukraine. Autant de pistes devant guider la France dans les prochains débats autour de la future loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 et, en particulier, sur l’effort budgétaire à fournir au profit d’un commandement de la cyberdéfense (Comcyber), acteur de la résilience nationale.
Depuis dix ans, la France a intégré la cybersécurité dans le concept de sécurité nationale. Cette ambition est devenue récemment un objectif stratégique pour disposer d’« une résilience cyber de premier rang ». Des défis de taille en découlent pour nos militaires en termes de fidélisation de ressources humaines, d’intégration des effets cyber aux opérations et de gestion des partenariats publics et privés.
Comcyber est un employeur attractif, malgré un marché du travail où la ressource est rare, donc précieuse. Si le défi réside dans la fidélisation d’une ressource convoitée par le privé, qui offre des niveaux de rémunération plus attractifs, les armées doivent monter en puissance afin de faire face à une menace chaque jour grandissante. La prochaine LPM doit confirmer l’objectif stratégique de résilience par une augmentation des ressources humaines du Comcyber. Cette masse est indispensable pour disposer d’une capacité à se défendre et à agir sur les champs hybrides.
Le Comcyber – émanation des armées et non cyberarmée – doit répondre aux besoins opérationnels pour conduire des opérations militaires, y compris de haute intensité, dans tous les champs. Ainsi le concept de multimilieux (terre, mer, air auxquels on peut ajouter l’espace exo-atmosphérique et le cyber) et de multichamps (informationnel et électromagnétique) pose le Comcyber comme un acteur aux carrefours de l’action opérationnelle aussi bien dans la conception, la planification et la conduite des opérations militaires de cyberdéfense. La LPM devra donc offrir une panoplie de capacités techniques spécifiques en complément des capacités des armées.
Outil de diplomatie militaire
La mise en réseau du monde induit qu’une attaque cyber sur l’Ukraine se propage viralement à l’ensemble du globe. Détecter en amont les signaux faibles permet d’anticiper le blizzard de cyberattaques accompagnant une infiltration d’un centre hospitalier ou d’un réseau électrique. Dans une logique de réassurance, les armées doivent plus que jamais se déployer à proximité de nos alliés et partenaires pour découvrir l’infiltration de pirates informatiques dans leurs systèmes. Le hunt forward – la « chasse cyber aux avant-postes » – invite à parcourir en profondeur les réseaux informatiques des pays partenaires à la recherche de signes de pénétration. Le Comcyber peut ainsi contribuer à la diplomatie française tout en étendant la protection de nos systèmes numériques.
La LPM devra renforcer les capacités d’animation des politiques nationale et internationale de cyberdéfense, notamment dans l’élaboration et la mise en œuvre des plans de coopération. Cet outil de diplomatie militaire numérique placera la France au rang des partenaires lucides à haute valeur ajoutée.
Le retour d’expérience de la guerre qui se joue actuellement aux frontières de l’Europe souligne l’importance d’une défense nationale et européenne numérique. Si le cyber n’est pas une arme suffisante pour gagner la guerre, elle constitue en revanche une capacité indispensable pour conserver l’initiative et l’avance sur l’ennemi.
La devise du Comcyber est « Per Aether Pugnamus » : « à travers l’éther, nous menons le combat ». Bien qu’immatériel, ce combat a besoin de moyens humains et technologiques pour faire face : la prochaine LPM devra en être l’incarnation.